" La grande peinture est une peinture chargée d'énergie" - Cette réflexion d'André Masson peut-elle répondre à votre démarche ? |
La peinture incarne l'énergie. Elle agit comme la force cosmique qui crée les étoiles et entraîne les saisons. Cette énergie rayonne et son rayonnement touche et émeut le spectateur. Nous n'avons pas affaire à une énergie brutale mais subtile, qui unit en même temps tension et détente.
Elle se situe entre ces deux pôles, s'il ne s'agissait que de tension, nous serions face à l'agressivité à l'état pur, si à l'inverse il ne s'agissait que de détente au nom de la liberté et de la spontanéité, nous serions face à la déliquescence.
Ainsi que vous pouvez le soupçonner, la voie de la création en peinture unit deux éléments apparemment contraires. C'est de leur résultante qu'émane la force créatrice.
La peinture navigue bien entre deux mondes, tantôt le monde visible, tantôt le monde de la pensée. Une peinture idéale va les réunir, elle tend vers l'expression totale.
Cette dynamique issue de deux polarités agit-elle sous d'autres formes au cours de votre travail ?
Nous sommes confrontés à une donnée essentielle de l'art. Quand on travaille, à chaque instant la question se pose : travailler en faveur du vide, travailler en faveur du plein. C'est comme l'esprit et le corps, la musique n'existe que par le silence.
Antérieure à la création, est la page blanche. Au moment où le peintre commence à agir, il crée les vides et les pleins à l'intérieur de l'espace donné.
Oui, mais la nature au sens cosmique. L'artiste est pour moi quelqu'un qui s'identifie à la force cosmique, il en est un atome et grâce à cette identification, il parvient à recréer ce que crée la chimie du monde. L’œuvre d'art est la manifestation de cette identification.
Oui, à condition que cette "p1ongée" s'exerce à la fois dans l'infiniment grand comme dans l'infiniment petit. C'est la même énergie qui préside au dynamisme des cellules et au destin des étoiles. Ce dynamisme de base se matérialise dans le trait.
Le trait c'est un courant, un chemin, son usage n'est pas de cerner les choses dans leur forme ou leur ressemblance mais de contribuer à les faire surgir du chaos. Une œuvre est un faisceau de traits comme un corps est un ensemble de cellules. <
Il y a œuvre quand les traits répondent à une organisation autonome, organisation que seul l'artiste peut réaliser. Un tableau comme un corps ne s'épuise pas entièrement dans le fait physique, le peintre comme la nature ajoute quelque chose de mystérieux qui "anime". Au corps il faut joindre l'âme.
Je ne l'explique pas, je le laisse agir. C'est très simple, le premier coup de pinceau attaque le papier et ainsi de suite, les autres découlent d'eux-mêmes, instinctivement, naturellement, allant de soi.
Le métier n'est qu'un outil, sans lui les phénomènes n'accèdent pas à l'expression. L'outil s'acquiert par apprentissage, l'apprentissage cesse quand l’œuvre naît. L’œuvre née, l'outil a disparu. Milieu vivant, la peinture ne peut s'enfermer dans des formules, elle prend vie en leur échappant et d 'une certaine façon elle nous échappe et vit sa vie propre !
Et nous sommes des aventuriers de l'inconnu. Nous nous devons d'agrandir le jardin de l'homme, nous savons la nature infinie, alors franchissons un demi pas de plus à chaque aventure nouvelle.
Naturellement dans la mesure ou nous sortons du champ des connaissances, l’œuvre trouble. Une œuvre qui ne se soucie que des préoccupations du moment n'est pas. Elle dépasse les propos du moment, elle abolit l'espace et le temps. C'est une œuvre possible, qui aurait pu être il y a mille ans, et qui dans mille ans sera encore.
En quelque sorte oui, mais avec un prolongement plus grand parce que l'auteur n'est que le porteur d'une aventure. Il l'accomplit dans une sorte de transe. Je le fais parce que je ne peux pas ne pas le faire, mais je ne sais pas ce que je fais. Il n'est qu'à demi-conscient.
Nous ne sommes que des cellules sensibles entrant dans le courant, nous captons l'énergie à sa source, cette saisie immédiate se matérialise par l'encre le papier et le pinceau.
En Occident les peintres avaient tendance à cristalliser leurs œuvres dans un espace précis avec un noyau central. Le moyen le plus simple de rompre cette cristallisation consiste à pénétrer au cœur même du phénomène : un noyau cellulaire se multiplie par division. Le diptyque est le support le plus élémentaire qui en rend compte. Il redonne le dynamisme, avec lui l'espace n’est plus limité, tout est possible, fragment continuité, nous assistons à la marche du monde, un se divise en deux et deux fusionne en un.